14/5/2020: « Le retour aux lieux de travail » – Compte-rendu

Un moment d’échange organisée dans le cadre des vidéo-rencontres sur l’après-confinement organisées en partenariat avec l’ACC

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Témoignages : Eric Mat (directeur, CC Gembloux), Sandrine Mathevon et Camille Toussaint (Directrice et coordinatrice administrative, CC Saint Gilles – Le Jacques Franck), Thierry Wenes (Animateur jeunesse et responsable communication, CC Fosses-la-Ville)
Animateurs : Céline d’Ambrosio (ACC), Nicolas Canta (ASTRAC)
Rapportrices : Marie Lambert (ASTRAC), Patricia Santoro (ACC), Liesbeth Vandersteene (ASTRAC)
Participants : Pierre Anthoine (Directeur, CC Tubize), Francine Brunin (Directrice-adjointe, CC Wolubilis) Carine Dechaux (Directrice, CC Rochefort), Karin Fontaine (directrice, CC Evere), Rachel Jans (Directrice, CC Marchin), Christian Lassaux (Directeur, Centre culturel de Verviers), Angélique Poncelet ( Directrice, CC Bastogne), Fleur Sizaire (Directrice, CC Quaregnon), Alain Thomas (Directeur, CC Bertrix), Catherine Van Den Ostende (Directrice, CC Beau Canton), Bernadette Vrancken (directrice, CC Archipel 19).

Rapport des échanges

La rencontre se déroule en deux temps : une première heure est consacrée à des témoignages, une deuxième aux échanges entre participants.

Témoignages

Trois intervenants partagent des réalités bien différentes vécues au sein de chacune de leurs institutions durant cette période de confinement ainsi que des interrogations soulevées par la perspective d’un retour sur les lieux du travail.

Sandrine Mathevon et Camille Toussaint
(Directrice, Centre culturel de Saint-Gilles, Le Jacques Franck)
Le Centre culturel dispose d’une salle de 300 places et d’une équipe d’environ 30 personnes pour 20 ETP.
La commune a pris la décision dès le début de la crise de fermer le Centre culturel et le télétravail ou la récupération d’heures supplémentaires se sont imposés pour une grande partie du personnel. Le contact a été maintenu par des réunions virtuelles.
L’expérience du confinement a été fortement marquée par la maladie (très probablement covid) de plusieurs membres de l’équipe. Des mesures de précautions et une organisation du travail très strictes ont été mises en place. Jusqu’à présent, la commune n’intervient pas dans les frais supplémentaires qu’elles engendrent. Les absences de longue durée ont aussi généré d’importants problèmes pratiques.
Depuis 15 jours, le travail reprend peu à peu, mais toujours de manière contrôlée, dans le respect des règles sanitaires (notamment distanciation physique). Le régisseur revient 1 fois par semaine, la personne responsable de l’encodage comptable vient 2 fois par semaine, une personne se charge de l’entretien des locaux, de la relève du courrier et l’envoi vers les personnes concernées.
Le retour au Centre culturel est perçu différemment en fonction de la situation personnelle/familiale de chacun : suspicion de cas covid, peur de prendre les transports en commun, garde d’enfants en bas âge, …
La définition d’un cadre strict a permet de rassurer, mais les craintes restent importantes.
En ce qui concerne la reprise des activités : depuis le confinement, on gère les « modifications de modifications » et les annulations.
Un vernissage prévu en septembre est maintenu mais le concert sera certainement annulé, on veut néanmoins laisser la possibilité aux publics de se retrouver.
Il y a questionnement sur le futur du travail et du sens qui lui sera donné : surcharge de la saison prochaine suite aux nombreux reports (report du « Parcours d’artistes » prévu au printemps et reporté en automne), mais également sur l’organisation des scolaires en intérieur et la gestion de la location de salles, …
D’un point de vue financier, la situation est pour l’instant « acceptable », mais elle risque de devenir très compliquée si les mesures devaient se prolonger à la rentrée. Le Centre culturel a demandé une prolongation des délais au 30 juin pour le dépôt de demande au fond d’urgence Covid, mais cela a été refusé, il a donc été décidé de ne pas l’introduire.

Thierry Wenes
(Animateur jeunesse et responsable communication, Centre culturel de Fosses-la-ville)
Le Centre culturel, situé en milieu rural, ne dispose pas de salle et est hébergé au sein de l’administration communale. L’équipe est petite. Plusieurs membres ont perdu des proches.
Le télétravail a été adopté par l’ensemble des travailleurs, mais une présence au bureau en alternance était possible, vu l’accès difficile au serveur. Le directeur se rendait au bureau chaque matin et pouvait y rencontrer le personnel sur demande. Le but étant de limiter la présence simultanée de travailleurs dans les locaux.
Au niveau des horaires, les membres de l’équipe ont eu la possibilité de s’organiser en fonction de leur situation personnelle/familiale. Une réunion d’équipe virtuelle est organisée chaque semaine depuis 15 jours.
Le travail de ces quelques semaines s’est orienté essentiellement sur le rapport d’activité du Centre culturel.
La reprise des activités est maintenant évoquée ainsi que le retour dans les locaux. Ce retour est perçu de manière assez positive, il y a un réel besoin de se retrouver entre collègues et des projets commencent à revoir le jour comme la valorisation des producteurs locaux. Il y a également une réflexion portée sur le sens que l’on souhaite donner à notre fonction dans une période où il n’y a plus, ni repères, ni clefs, qui pourrait être l’occasion de repenser notre travail au sein de la culture.

Eric Mat
(Directeur, Centre culturel de Gembloux, Atrium 57)
Le Centre culturel a une salle de spectacle et plusieurs petits locaux qui en dehors des activités propres sont utilisés de manière intense par des tiers. L’équipe compte 11 personnes.
Le confinement a donné lieu à une rupture totale mais « avant d’arrêter le paquebot il a fallu le ramener au port… »
L’équipe est restée très solidaire et jusqu’à la mi-mars tout le monde a continué à travailler sur le site, sur base volontaire. Les collaborateurs techniques se sont occupés du rangement, de l’entretien du matériel, de travaux de peinture, … le personnel administratif des annulations, des remboursements des publics et des intervenants, des annulations des locations de salles, l’équipe d’animation sur la programmation 2020-21 ; il a fallu également suivre l’évolution de la pandémie et de toutes les mesures impactant le secteur.
Plusieurs jours par semaine, au matin, un moment « station météo » était organisé dans le respect de la distanciation physique afin de permettre à chacun de partager ses émotions personnelles, son vécu.
C’était l’occasion aussi de réfléchir à la notion de sens qui s’est imposée dans les situations professionnelles de chacun et dans l’avenir de l’action à mener.
Dans une deuxième phase, certains sont progressivement passés au télétravail ; d’autres ont proposé d’écouler leurs heures de récup.
Ensuite, le travail diminuant, à l’arrivée des congés de Pâques, il a été demandé à tous d’écouler les récupérations et après les vacances, la décision fut prise de recourir au chômage temporaire (au prorata selon les horaires et selon les fonctions) en assurant 100% des salaires. Il était devenu important de définir de manière claire les moments de travail et les moments non travaillés.
Le retour au bureau se fait dans un esprit de deuil, de prise de conscience des difficultés, de confrontation avec la rupture engendrée par les événements avec l’ADN du Centre culturel en tant que « carrefour de publics » (« Rien ne sera comme avant »).
Un focus nouveau est mis sur l’expression citoyenne et l’éducation permanente dans le cadre d’un projet pour questionner les liens sociaux en période de pandémie, via les outils virtuels et associant un collectif d’artiste, projet qui débouchera sur une exposition itinérante dans l’espace public. Le projet associe toutes les fonctions au sein de l’équipe et donne une nouvelle perspective, un nouveau sens au travail.
En ce qui concerne le fonds d’urgence, le Centre culturel a interpellé la Direction des Centres culturels sur le non sens de limiter les interventions aux pertes accusées durant cette période de 6 semaines alors que sera impacté le travail de tout le premier semestre 2020. Le Centre culturel a décidé de ne pas introduire de demande.

Échanges

Suit un moment d’échanges entre les participants durant lequel les situations vécues, les différentes mesures prises et les questions de chacun sont partagées.

Ce qui en ressort s’axe autour de 3 constats :

  • La réaction aux mesures sanitaires est différente en fonction des lieux, de leur taille et de leurs activités mais certaines tendances se dessinent.

La fermeture du Centre culturel est presque toujours accompagnée de la mise en place du télétravail pour toutes les personnes dont le travail le permet.
Certains travailleurs sont restés sur le lieu du travail et se sont consacrés à des tâches d’entretien, d’inventaire de matériel, … prévues d’habitude à d’autres moments de l’année ou pour lesquels il est souvent difficile de trouver du temps.
Les autres ont travaillé (souvent à domicile) sur le rapport annuel et surtout, la réorganisation des programmations, la gestion des annulations, des reports et des remboursements.
La gestion du temps de travail a souvent été souple.
Dans certains lieux, les heures de travail n’ont pas été comptées de manière stricte, certains ont octroyé des dispenses (partielles) de travail à leur personnel, certains ont offert des « cadeaux d’heures ». Il a été demandé et parfois imposé d‘écouler les heures de récupération accumulées. Le recours au chômage temporaire (partiel) est resté limité et a souvent été accompagné de la garantie de la rémunération à 100%. Dans certains lieux toutefois, la commune a imposé la mise au chômage (de certains membres) du personnel.

  • Partout, l’humain occupe une place importante dans les mesures prises et les réflexions.

Chaque travailleur a vécu la situation différemment, en fonction également de sa situation personnelle/familiale (enfants en bas âge, personne seule, parent malade, …)
Le télétravail adopté dans la plupart des situations évoquées, n’a pas été simple à organiser pour chacun et a pu engendrer du stress, du surmenage alors que pour d’autres il ne donne pas assez de cadre pour la réalisation du travail.
Les réunions virtuelles se sont multipliées afin de maintenir le contact au sein des équipes mais souvent, les liens entre collègues ont été mis à mal et certains témoignent de réelles tensions.
Le retour sur le lieu de travail est globalement appréhendé de manière assez positive. Il y a une réelle volonté de se retrouver, de retravailler ensemble ou de simplement se revoir.
Selon certains témoignages toutefois, ce retour et les conditions dans les lesquelles celui-ci se concrétisera sont également source d’angoisses. On insiste sur l’importance de créer un endroit sécurisant en prenant toutes les mesures nécessaires et de prévoir un redémarrage en douceur. Se donner le temps de refaire équipe : accuser le coup, prendre des décisions face à l’urgence, les partager, réinventer ce qui devra changer au niveau de l’action, à partir d’une réflexion partagée sur comment on vit la crise et comment on envisage l’avenir.

  • La reprise du travail et des activités sera conditionnée par l’environnement et les caractéristiques de chaque lieu

Les questionnements sont nombreux et importants sur l‘avenir proche du secteur : les modalités de la reprise des activités, le risque d’une perte de sens, la crainte d’une perte de liens avec les publics, les artistes, les écoles, …
L’arrêt des projets en cours et les annulations mais surtout les incertitudes et le contexte flottant sont douloureux pour tous.
La reprise dépendra aussi de la volonté des pouvoirs locaux de lever des interdictions (radicales dans certaines communes) ou de susciter certaines activités pour répondre à des enjeux spécifiques.
Certains travailleurs voient dans l’issue de cette situation une opportunité de se réinventer mais pour d’autres cela semble plus compliqué et parfois même anxiogène.
On insiste sur l’importance de penser l’avenir à partir de l’outil dont on dispose : le Centre culturel et son cadre, avec leurs contraintes qui façonnent le travail et les possibilités.
Se posera aussi la question de la poursuite des actions selon les axes des contrats-programmes dans les termes du nouveau décret notamment dans le cadre des spécialisations et des intensifications.
L’ensemble des participants regrette le manque de visibilité des Centres culturels en tant qu’acteurs socioculturels, lié à une image du monde culturel qui privilégie la création et la diffusion des œuvres. La défense des autres formes du travail culturel et de leurs finalités pour renforcer l’exercice des droits culturels ne doit pas empêcher une solidarité avec les artistes frappés par la crise.