Saurez-vous apaiser nos inquiétudes?
Le 29 novembre 2018
Lettre ouverte aux députés des parlements
de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Réforme APE :
Vers une mise à mal des emplois du non-marchand et de l’action professionnelle des Centres culturels ?
Mesdames et Messieurs les députés,
Vous serez bientôt amenés émettre un vote sur le projet de décret qui prévoit une refonte totale des Aides à la Promotion de l’Emploi (APE) pour instaurer une subvention unique forfaitisée et, au terme d’une période transitoire, un transfert des budgets aux différents ministres fonctionnels.
C’était une demande des secteurs du non-marchand de garantir et de consolider la qualité de leurs services et de leurs actions au bénéfice des populations en sortant ces aides qui leur ont été octroyées de manière plus ou moins structurelle dans le courant des années précédentes d’une logique de remise à l’emploi, avec ce que cela génère en termes d’obligations et de justifications.
C’était certes une demande des secteurs mais qui était assortie de conditions : neutralité budgétaire (pas de pertes pour les associations), transition douce et concertée, stabilisation du nouveau dispositif, etc.
À la lecture du projet de réforme APE qui vous sera soumis pour adoption, force est de constater que malgré quelques améliorations apportées suite à l’adoption en troisième lecture (notamment au niveau de la formule de calcul), de fortes inquiétudes demeurent relatives à toutes les étapes de la réforme.
Saurez-vous les apaiser ?
La garantie des emplois et des missions réalisées par les travailleurs APE du non-marchand, et dans notre cas, dans les Centres culturels nécessite d’être interrogée de votre part.
Nous vous invitons dès lors à vous posez les questions essentielles suivantes :
1/ Calcul de la subvention
Le principe phare de la réforme est le passage d’un système de points subventionnés assorti d’une réduction des cotisations sociales à une subvention unique forfaitisée par employeur.
Celle-ci englobera dorénavant les différentes sources de subventionnement en une seule calculée à partir de la situation en 2015/2016.
Nous avons plusieurs remarques :
- Les simulateurs montrent que plusieurs associations restent pénalisées par la formule actuelle
Les projections pour les Centres culturels font craindre des pertes importantes dans différents lieux dont les volumes d’emploi APE varient, pertes qui engendreront la disparition d’un certain nombre d’emplois. Il en va de la professionnalisation de notre secteur et de la qualité de l’action culturelle. - La formule n’intègre pas les forfaits d’ancienneté ; le coefficient devant ramener en « valeur 2020 » le montant calculé pour 2015/2016 ne tient pas compte de l’effort de création d’emplois APE supplémentaires après 2016 par extension des postes autorisés car elle n’intègre pas de compensation des réductions des charges patronales pour ces postes;
- La valeur du nouveau « point individuel » sera plafonnée à une valeur moyenne du secteur, pénalisant de fait les associations qui, par une gestion de points tout à fait autorisée par la réglementation actuelle, ont pu proportionnellement créer plus d’emplois que les autres.
Pouvez-vous garantir qu’à l’entame de la période transitoire (soit le 1er janvier 2020), aucun risque ne pèse sur les emplois APE, les missions décrétales des opérateurs, et leur action au bénéfice des populations ?
Les citoyens, pourront-ils toujours compter sur les Centres culturels pour construire pour et avec eux des activités et des projets culturels de qualité ?
2/ Période transitoire d’un an
Cette période – retardée et donc raccourcie d’un an suite à la troisième lecture – doit non seulement permettre aux employeurs de se “préparer” au mieux à la réforme mais également aux ministres fonctionnels de bénéficier d’un temps “suffisant” pour mettre en place les outils juridiques destinés à réceptionner les budgets. Une étape décisive qui nécessite une concertation large avec les secteurs, sereine et inscrite dans un temps raisonnable.
Il importe, dans ce contexte, de prendre la mesure de la pluralité des réalités que connaissent les secteurs et les associations et de formuler pour chacune ces réalités des réponses adaptées.
En ce qui concerne les Centres culturels, le dispositif APE s’y concrétise sous différentes formes qui sont toutes à prendre en compte: APE gérés par Centres culturels, employés ou points APE communaux mise à leur disposition ou prêtés, APE attribués à des projets (co)portés avec d’autres opérateurs, …
La période de transition doit servir à chaque association de se projeter dans le temps et anticiper les pertes éventuelles afin de mettre en place des solutions, avec le pouvoir public. Sa durée et les critères pour son encadrement sont à ré-envisager afin de créer un climat de sécurité, d’autant plus que la réforme se produit au cours d’une année électorale au niveau régional.
Pouvez-vous garantir qu’une réelle concertation avec les secteurs sera menée sur les modalités du transfert des budgets ?
Pourriez-vous garantir une période de transition suffisamment longue pour permettre une analyse fine des réalités de nos secteurs ?
Pouvez-vous également garantir que les modalités de répartition budgétaire et les garanties d’autonomie des associations dans l’affectation des postes concernés ne seront pas bradées et ne risqueront pas de mettre à mal les différents projets au sein d’une association ?
3/ Transfert des budgets aux ministres fonctionnels
Le transfert des budgets est censé être l’aboutissement de la réforme. Ce que les secteurs et associations appelaient de leurs vœux pourrait devenir le moyen pour chacun des ministres fonctionnels de rebattre les cartes, de revoir éventuellement les modalités d’octroi des subventions à l’emploi, en considération d’objectifs entre autres géographiques, d’efficacité et de performance, avec le risque permanent pour une association de ne plus connaître un financement stable de ses emplois « ex-APE ».
Les aides des régions sont d’une importance fondamentale pour les Centres culturels aujourd’hui. En 2015, presque la moitié des emplois de notre secteur étaient concernés par les dispositifs APE et ACS. Les aides APE représentent en moyenne un quart des moyens financiers dont disposent les Centres culturels wallons. Jusqu’à présent, aucune piste ne semble avoir pu été dégagée pour garantir la pérennité des enveloppes et des postes existants.
Pourriez-vous accepter de voter la réforme APE avant que les ministres fonctionnels n’aient déterminé leurs critères d’affectation des moyens transférés ?
Pourriez-vous, sans connaître ces critères, garantir aux associations du non-marchand leur viabilité, une stabilité de financement et la pérennité de leurs actions (répondant à des attentes fondamentales) qui ont mis parfois des années à se mettre en place?
Pourriez-vous mettre en danger la professionnalisation des Centres culturels et la richesse de leur action pour et avec les citoyens ?
Mesdames et Messieurs les députés, vous le voyez, ce projet de réforme, bien qu’il réponde à une demande des associations, ne tient pas compte d’une série de difficultés majeures auxquelles les actions associatives et citoyennes devront faire face.
Si le vote de cet avant-projet de décret approche à grands pas, c’est sans compter les nombreuses questions sans réponses qui restent ouvertes…
Saurez-vous apaiser nos inquiétudes ?
Liesbeth Vandersteene
Directrice de l’ASTRAC, Réseau des professionnels en Centres culturels asbl