« Observer, évaluer et renforcer l’exercice des droits culturels »

Compte rendu, traces, outils et conseils de lecture suite à l’atelier organisé le 8 mai 2018 à La Marlagne (Wépion).

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Rappel des questionnements et des objectifs de l’atelier
Les droits culturels visent à garantir à chacun de vivre librement et de partager son identité culturelle, comprise – selon le « Groupe de Fribourg » – comme « l’ensemble des références culturelles par lesquelles une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité ».
Le décret du 21 novembre 2013 inscrit les droits culturels au cœur des missions des Centres culturels. Ils sont aujourd’hui à la fois le référentiel, la finalité et les moyens du projet partagé par les équipes des Centres culturels.
Comment observer l’exercice de ces droits fondamentaux ? Quels sont-ils ? Comment agir sur leur exercice et réduire les inégalités dans celui-ci ? Comment apprécier et améliorer l’impact de nos pratiques dans ce contexte ?
Un atelier pour passer de la théorie à la pratique. Réflexion partagée, éclairages de concepts, témoignages issus du terrain, mises en situation, analyses et échanges d’expériences.

Participants inscrits : Fabienne DE VUYST (CC Thuin), Lisa DI SANTE (CC Herlaimont), Thomas KEMPENEERS (CC Waremme), Laurent HABRAN (CC Florennes), Marc LECLEF (La Posterie – Courcelles), Sophie LEVEQUE (CFWB), Valérie LOSSIGNOL (Central – La Louvière), Nathalie LOURTIE (CC Ittre), Pascal MARLIER (CC Thuin), Bernard MICHEL (CC Fosses la Ville), Etienne PEVENASSE (CC Gerpinnes), Pierre SABBE (Foyer culturel Antoing)

Animatrice : Liesbeth Vandersteene (ASTRAC)
Intervenants : Luc Carton (Inspection FWB), Carine Dechaux (CC Rochefort)
Rapporteur : Nicolas Canta (ASTRAC)

Conclusions de l’atelier

Les points qui suivent représentent les conclusions du point de vue de l’ASTRAC, formulées par Nicolas Canta sur la base de ses observations lors de l’atelier, des interventions de Luc Carton et de Carine Dechaux.
Il ne s’agit donc aucunement d’un rapport « objectif » ou « exhaustif » des échanges.

Intuitions et points de vue des participants relatifs à l’exercice de leurs droits culturels :

  • Quelque chose qu’on active plutôt qu’on ne reçoit.
  • Si on fait ce métier, c’est qu’on a vécu une situation où les droits culturels ont permis une transformation.
  • On les exerce quand on fait, quand on crée, plus que quand on consomme la culture.
  • Il existe des freins à l’exercice de ces droits culturels, par exemple en lien avec la mobilité ou l’information.
  • On a l’impression d’être privilégié d’avoir pu exercer nos droits culturels.

Luc Carton : C’est quoi, les droits culturels ?

  • Les droits culturels, c’est d’abord, en première approche, une « vue de l’esprit », une idée générale, nébuleuse. Il s’agit d’un objet politique non identifié, tellement peu opérationnel qu’il n’apparaît qu’à la marge et de manière vague dans les diverses déclinaisons des droits humains : article 23 de la Constitution belge, article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, article 15 du Pacte pour les Droits économiques, sociaux et culturels.
  • En seconde approche, métaphoriquement, les droits culturels = le droit de se représenter/imaginer/connaître/inventer le monde, à penser son changement (Cfr Isabelle Stengers).
  • Les droits culturels sont donc à envisager dans leur double dimension : en tant que droit(s) à la culture et en tant que dimensions culturelles des autres droits humains (droits civils et politiques, droits économiques, sociaux, politiques…).
  • Aujourd’hui, peut-être plus encore qu’en ‘68, on est plus qu’en droit de se questionner sur nos capacités à inventer/penser le monde, exactement à l’encontre d’une culture dominante symbolisée par « TINA » (« There is no alternative », traduit en français par « Il n’y a pas d’autre choix » ou « Il n’y a pas d’alternative»).

Sentiments des participants sur les personnes et groupes qui, selon eux, n’exercent pas pleinement leurs droits culturels :

  • La jeunesse est souvent absente des manifestations culturelles. S’est-on adapté à la culture du numérique, à la cyber-citoyenneté ?
  • L’image des Centres culturels en tant qu’institution « étatique » peut rebuter certains groupes de populations.
  • Il est plus facile de travailler avec des populations qui ont tout à gagner, chez qui on réveille le sentiment de pouvoir s’exprimer.
  • La notion de groupe pose question. Si on identifie des personnes comme faisant partie d’un groupe, ne les enferme-t-on pas dans quelque chose ? Les « vrais groupes » se forment là où les gens se regroupent autour de problématiques ; dans ce cas, il s’agit de trouver la bonne porte d’entrée.
  • Idée de levier, on « accroche » des gens qui ne viennent habituellement pas au Centre culturel avec des projets a priori non-culturels, comme un jardin partagé, une séance d’info sur le compostage….
  • Le Centre culturel est un des outils pour l’exercice des droits culturels, les gens se servent ou pas.

Luc Carton : Rebondissements. Pourquoi les droits culturels sont-ils importants pour les Centres culturels ?

  • L’égalité initiale des humains est le préalable, le fondement même des droits culturels.
  • Attention, au nom d’une vision courte des enseignements de la sociologie, à ne pas désigner les populations pauvres comme vivant nécessairement une misère culturelle, exerçant le moins leurs droits culturels ; attention à ne pas confondre inégalités scolaires et inégalités culturelles, à ne pas confondre publics et populations ; ne pas oublier d’imaginer aussi la misère culturelle des riches !
  • Le constat à la base de la réforme du décret de 1992 était que les Centres culturels n’avaient plus de socle/langage commun, Le choix des droits culturels comme nouveau référentiel était justifié par le fait que ceux-ci n’imposent aucune contrainte de contenus, mais uniquement une exigence de procédure, de méthode, de démarche. Il s’agissait de rompre avec une conduite de l’action dominée par une logique de l’offre, dépasser la césure entre culture et société et subvertir les cloisonnements internes au champ culturel.

Témoignage de Carine Dechaux, directrice du Centre culturel des Roches (CCR), sur le projet « Terre Ferme »
Synthèse :
« Terre Ferme » est un projet né en 2005, dans un contexte de crise de l’agriculture, dans le but de « faire quelque chose pour les agriculteurs ».
Ça commence par un reportage photo auquel une vingtaine d’agriculteurs acceptent de participer, en amont d’un weekend entier construit autour du spectacle « Pour qui sonne le gras », de la Compagnie Buissonnière. Autour de celui-ci, une exposition de peintures, des tables rondes, et l’exposition des photos réalisées par les agriculteurs. Objectif du week-end : rapprocher les agriculteurs et les consommateurs.
Bilan du weekend : équilibre mitigé entre les deux groupes, peu de spectateurs habituels des autres spectacles, beaucoup d’agriculteurs. Et ce sont eux qui nous invitent à poursuivre l’expérience !
Un projet, dont on ne connait pas encore l’ampleur, se construit progressivement, porté par le CCR et un nombre croissant de partenaires. Il donne lieu (e.a) à la création d’un coffret photos/témoignages, avec interventions de spécialistes (regards sur) et interviews d’agriculteurs (regards par), produisant une expression individuelle et collective d’une réalité diverse et complexe ;  à partir de 2008, au festival de film sur la ruralité « A travers champs » (tous les deux ans- 6 éditions) ; à la mise en place d’un atelier théâtre réunissant un groupe d’agriculteurs, qui a depuis produit deux spectacles joués plusieurs fois, à des conférences, …
Au fur et à mesure du développement du projet tout au long des années, grâce à l’écoute permanente et la volonté de l’équipe de se remettre en question et de repenser son action, le CCR arrive – non sans incidents – à conforter le rôle crucial des agriculteurs, pas en tant qu’ « objets de musée » mais en tant qu’acteurs à part entière, qui participent pour « parler d’eux » et demandent, après chaque étape « Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? ». Les agriculteurs sont devenus les porteurs de la démarche auprès de leurs pairs, ils participent aux visionnements et à la sélection des films, ils expriment des commentaires intégrés dans la brochure du festival, participent à un jury mais aussi à l’évaluation continue du projet.
De plus, des liens se sont créés, forcément, avec une série d’initiatives liées à la rencontre production/consommation et crées par des groupes de citoyens en questionnement (marchés, monnaie locale, transition, …).
Des regards d’artistes sont toujours convoqués pour « alimenter » les regards, par des expressions poétiques, politiques, exploratoires, De nombreuses associations (ap)portent leur part, leur compétence…
Pour garder cette implication forte, le CCR a été amené à prendre la décision de ne pas promouvoir une agriculture (les alternatives) plutôt qu’une autre – malgré cela, le projet se heurte régulièrement à la méfiance des autorités locales.
A l’heure actuelle, « Terre ferme » et le festival « A travers Champs » regroupent 13 Centres culturels et une dizaine de partenaires issus de différents milieux. Pour les agriculteurs, l’aventure est tout sauf finie…
Les mots clés de cette démarche qui vise à impliquer chacun et tous dans une construction collective : adaptation, veille continue, écoute, risques, résistances. Une attention à garder les traces, et à maintenir une alternance consciente et continue entre l’expression de tous et l’information au service de tous.

Les participants sont ensuite invités à considérer le projet à la lumière des droits culturels.
Comment ce projet – ainsi que ceux menés par les participants – fait-il écho aux droits culturels ? Trois sous-groupes sont formés qui adoptent chacun un autre regard, correspondant à trois « terrains de mobilisation » des droits culturels : la définition des objectifs d’une action, l’analyse du contexte territorial, les pratiques professionnelles.
Voir aussi la proposition de grille pour l’analyse d’une action culturelle au regard des droits culturels (réalisée par l’ASTRAC et complétée d’une présentation Ppt explicative)

Conclusions :

  • Les différentes étapes du projet ont agi comme des « cercles dans l’eau ». C’est parti d’une proposition ponctuelle de reportage photo pour arriver à une multitude d’initiatives dont le Centre culturel n’est plus forcément porteur. Plusieurs associations, mouvements de défense/valorisation de la terre ou d’une agriculture plus responsable ont vu le jour sur le territoire.
  • Le travail des artistes a été important pour accompagner la parole des agriculteurs.
  • Quelques notions cruciales expliquent la « réussite » du projet : la temporalité longue : prendre le temps, la prise de risques, l’écoute permanente… Luc Carton y reconnaît des aspects fondamentaux de la philosophie des droits culturels, des formes de résistance affirmées à des tendances sociétales comme l’urgence, la non-prise de risque, le manque d’écoute vis-à-vis des populations.
  • Les objectifs du projet ont subi des ajustements au cours de son évolution. Ils n’ont pas été une contrainte, ils se sont enrichis au fil du temps. Cela aussi fait écho à la philosophie des droits culturels qui met en avant des exigences liées aux méthodes et aux processus plutôt qu’à des finalités définies au préalable.

Pour approfondir les réflexions

Lectures utiles (petite bibliographie non exhaustive!)

Déclaration de Fribourg, 2007
Anne Aubry, Christelle Blouët, Johanne Bouchard, Irene Favero, Patrice Meyer Bisch, Paideia. Pour une nouvelle culture de l’action publique, 2015
Céline Romainville, Le droit de participer à la vie culturelle, Analyses du PAC, 2013 – 19
Céline Romainville, Neuf essentiels pour comprendre les « droits culturels » et le droit à participer à la vie culturelle, 2013
Christelle Blouët, Paideia : 5 ans d’expérimentations sur les droits culturels à partager, Les droits culturels en actes – 5 ans de Paideia – à paraître en 2018
Les droits culturels, des droits de l’homme aux droits constitutionnels, Le Journal de Culture et Démocratie, 36 (novembre 2014). Numéro thématique, avec des contributions de Patrice Meyer-Bisch, Céline Romainville, Joëlle Zask, Roland De Bodt, …
Droits culturels : mots ennemis ou révolution?, Agir par la culture, 35, automne 2013, pp 10-18. Numéro thématique, avec des contributions de Baptiste Fuchs, Patrice Meyer-Bische, Céline Romainville, Christelle Blouët, Jean Blairon
Jean Blairon, Jacqueline Fastrès, L’usage social des théories : l’exemple des « droits culturels, Intermag, décembre 2013
Jean-Michel Lucas, Quelles perspectives pour des droits culturels? Contribution proposée lors de la rencontre organisée par l’Université Bordeaux Montaigne les 9 et 10 avril 2017
Paul Biot, Manuel. Une approche des droits culturels. 2016-2017

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